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blanche

La revue n° 58 poètes de service

poètes de service

Clément Gustin

Je suis né en 1992 à Nancy, j’ai fait des études de lettres et divers petits métiers. J’ai participé à la dernière biennale des poètes en Val-de-Marne organisée par Francis Combe en 2017, et contribué sous mon nom ou divers pseudonymes à la revue littéraire Le Sabot.
Je tiens également un blog personnel à cette adresse : https://clementgustin.substack.com

 

 

(1)

Les multitudes en partance fusent

à la recherche des domaines et zones,

Terminus rêvés, stations propices au ciel incolore :

le mouvement était tout (chaque élan exaucé)

Sur la terre quadrillée

Les tribus s’échangeaient à vive allure

à la façon des capitaux indifférents aux siècles

Latitudes bandées vers les ports triomphaux — souveraines chapelles

des trafics et des rapts

 

Coordonnées & fuseaux en perdition migrent :

chacun happé vers la marge qui le somme

(plateformes, refuges, climats ou rivages)

D’un même transit énervé fonce

vers les détroits et les isthmes —

Ô temps d’exodes ! Ô streams du bout du monde et gyres !

— Selon les odes, les étendards et les bouviers,

par la terre quadrillée : le mouvement était tout.

 

 

 

(2)

Peut-être alors le panopticon nous rendra-t-il vraiment heureux et bons

(c’était quelquefois comme un doute qui le prenait)

Le bon sauvage tant fantasmé des philosophes

enfin debout ravi qui se déplace au cœur

de la citadelle interactive et propre

 

Prairies de miel au bout des ongles —

une sensation d’euphorie connectée au pigment-lumen ;

Des routes larges, entrelacs

doux aux véhicules autonomes ;

          La réserve nous y

Déambulons en souriant glabres et apaisés d’une alvéole à l’autre

          sous le regard maternel de la régie centrale,

Et chacun de nos gestes est parfait :

Tous nos comportements sont d’une belle sérénité sans peine ou remord

 

Disons des cartographies pour chaque humeur et des plans

millimétrés à la conquête de tes songes —

(On jouera sur tes nerfs des mélodies à quatre temps)

          accords refrains pop

          « et cueille un à un les fruits, bon sauvage »

(Ces sont les résultats des Hauts Vergers calibrés d’interactions)

 

Son désir était formulé

dans le creux d’un calcul —

Et maintenant chacun de nos gestes est parfait :

Tous nos comportements sont d’une sage mesure sans douleur ni passion

 

 

 

(3)

Elle s’érigeait verticale et sauvage

dressée comme un volcan d’acier —

pierres et places profondes

criblées de trajectoires hâtives

 

Animaux assoupis les monuments stoïques surveillent

l’étendue des bosquets vitreux flanqués de rives solides

Franchissant des parcelles sous l’œil mort des hublots

— On aménage ici, vois-tu

l’almanach des bâtisses avec avant-gardisme

Le chantier bouge

pour qu’y saille mieux la vitesse,

la ville pue souvent

malgré son cubisme orgueilleux

 

Les gens commercent

dans des vallons de bitumes bleus

qui se déplacent

On aménage, tu sais

l’on creuse —

coupe scinde réunit

les ruines ravaudées —

tunnels et seuils,

des quartiers se transforment

 

Confins et configurations

elle s’érigeait, vois-tu, verticale et sauvage

pareille à une forteresse agitée —

Un large origami de bronze, scindé d’axes

où transitaient les centuries nomades…

 

 

 

(4)

Automation des mouvements —

masses aux aguets dans le dédale,

Synchrones dans l’attente

d’un devenir indiscernable

(mais l’instant qui nous maintient

dans son étreinte

fait fi de toute projection)

 

— reste

que reste ?

quoi reste ?

 

L’allant-vers, mais sans havre

l’errant dans l’errance insatiable —

(flux et reflux se nouent encore

Ô berceau des turpitudes… nodalité de coercition !)

Nous nous mettons à rechercher nos sensations

comme un courant perdu en quête de ses rives

 

Et moi aussi, pensais-je alors

j’aurais vécu dans ce présent optimal —

sur les berges désertées

à la recherche de l’alètheia

(la cendre des étoiles vaquant

dans le vin étourdissant

de l’au-delà)

 

Et c’étaient ces mêmes cargos pleins

ce même trafic

des esplanades alambiquées

où la foule ignorait la foule,

où le destin vous serrait la poigne

un billet à la main.

 

 

 

(5)

Les poumons pleins des phéromones

du grand archipel entropique

— où d’ilot en ilot immédiat nous commentons

les effluves réactifs,

J’aboie ma lunaison

dans le cercle des hommes,

Je renifle les mégots du sacré

tombés sur le trottoir —

 

Tout bouge roule doux sous le chiffre d’or

(et ma solitude est la plus pure

quand vous vous approchez de moi)

 

Dernier venu de l’Occident hollywood-caniveau : vacarme,

épaves idoles trônes, et des nuées

dans la nuit auréolée d’argent et d’ennui

 

Castes mêlées dans le ventre urbain

en quête de signaux lumineux

— ce sont d’inénarrables points de fuite,

délimités par un demi point de croissance —

 

*

 

Persistance rétinienne

          impression de déjà-vu

(Une vague lueur bleue

          diluée dans l’atmosphère)

Et tu me disais ce soir-là :

« un jour ils sauront

ce qu’ils voient,

Ils verront

ce qu’ils sentent —

Ils sentiront ce qu’ils savent… »

 

(À mi chemin de la vie

à mi chemin du sommeil

Monte en moi le souvenir

comme monte le soleil)

 

Et tu me disais ce soir-là :

« combien furent-ils

sourds au tocsin de la discorde

à monnayer leurs dernières années ? »

 

Quand tout bouge roule doux sous le chiffre d’or

(il y a comme un bruit de fond analogique

au bout d’une chambre d’écho noire)

 

Tu me disais :

« je tente en vain de dormir

en regardant le plafond —

la pluie frappe

à ma fenêtre éclaboussée de néons. »

Clément Gustin