La
page
blanche

La revue n° 53 Séquences

Séquences

Simon Kovacs

Simon Kovacs naît en 1996 près d’Anvers, en Flandre-Orientale, dans une famille d’expression flamande. Durant son enfance, il s’installe avec sa famille en France. Dès lors, le français deviendra progressivement sa langue première d’expression puis d’écriture. Il prépare actuellement une thèse en littérature comparée à Toulouse.

LA NUIT NUE
Conversations en proses

I

Le soleil traverse le ciel comme une lézarde mûre.

C’est étrange. Y a-t-il un chemin marqué dans cette chair. C’est étrange.

L’aveugle marque le pas « l’aumône et je prie pour vous ». « Pars. On n’exalte ici que le Dieu Cornu ». « Et c’est bien tant pis si je ne crois en rien ».

Un peu de lumière ne suffit pas à traverser un champ. Quelqu’un, ou quelque chose, s’avance. Il est déjà si tard. La neige ne craque même plus sous les pas pesants. Qui, à cette heure, cherche sa cabane.

« Oh ! Écoute ! Il paraît que le petit Ivan a un terrible secret. Il paraît qu’il a bu tout le vin de messe.

Et il paraît que maintenant, il se prend pour une grosse cloche ». Les rires s’éclatent.

Il est déjà si tard.

Vassia crie, mais personne ne l’écoute. Sa mère est occupée à lui tourner le dos et à préparer la soupe. Les aïeuls de la maison vident une truite.

La nuit s’inquiète.

Qui, à cette heure, viendra ouvrir les portes de la ville.

Et de tout cela on ne retiendra qu’un rire.

Et le toucher de soie écarlate.

Et la brûlure du sang.

 

II

Il n’y avait déjà plus de soleil.

Histoire du livre de Judith.

Judith au camp bégaye.

On y servait le poisson pêché le matin.

La beauté de sa cicatrice au front. Il est l’heure de l’ordalie par le feu.

Lorsque l’épée brûlante touche ses paumes, Judith reste silencieuse.

Elle sera devenue muette.

 

III

Longtemps déjà le soleil avait sombré.

Nous avancions avec les mains. L’orge battue. Le lait caillé.

Nous cherchions. Nous avançons avec les mains.

Qui écoute ? Qui brûle aux flambeaux ?

Nous avancions avec les mains, nous tressions les cheveux.

Les mères en terre.

Loin les feux de ceux qui habitent des tentes avec des troupeaux. Cherchons. Du soc au versoir.

L’odeur du bronze.

Crue la chair.

Nous avançons avec les mains. Avions-nous perdu notre chemin ?

 

IV

Nuit vive. A l’emmanchure de l’ombre la cendre du brasero. Dans le silence

la horde d’or.

Sur la neva leurs perspectives.

Dire pour ce qui est dit.

A l’anse le vin de terre. L’artère du boeuf. La ligne la hache. Sous l’épaule de plume.

L’airain brisé. A revers. Sous le menton brisé.

Et la fronde de l’eau.

Vin de terre grappe des yeux.

Nuit vive sous le ciel.

 

V

Nuit tremblante. La nuit tremble pour vous.

Vous qui avez l’audace de vous absenter,

Vous qui avez l’écuelle vide,

Vous qui arrachez au temps un jarret fatigué, un genou de moelle.

L’épervier s’est éloigné avec le vent. Au village des pêcheurs les filets draguent les mouches.

Les feuilles tremblent dans la nuit.

Ce sont les ronces qui montent jusqu’aux airs.

Nuit tremblante. La nuit tremble pour vous.

Vous qui avez l’audace de vous absenter,

Vous qui avez l’écuelle vide,

Vous qui cousez vos lèvres.

Le jour s’est éloigné avec le vent.

 

VI

Nous voyons la nuit depuis les murs de la ville. Nous voyons la nuit au travers du drapeau.

Chandelle rougie. La poitrine videdu désert sans lune.

Le désert n’a

Ni temps ni lieu.

Du haut des murs de la ville, nous ne voyons que lui.

Le sommeil, sous la fêlure du marteau, brille, la pleine mer. Sous les pierres se murmurent,

« Oh, dis, tu as entendu ? » « Silence. » « Tu n’as donc pas entendu ? »,

Se chuchotent le silence.

Sur les pierres le drapeau.

Si jamais un seul s’avance pour faire trembler sa gorge,

La nuit le regarde.

 

VII

« Le soleil reviendra ? » demande-t-il. « Je suis épuisé. »

Le parfum de ce qui vient tard au monde déploie ses tissus dans un creux nu.

Trait noir.

Saillant.

Résonne contre sa paroi.

« Écoute ! Est-ce le jour ? »

« Le sais-tu au moins ? »

Ici, il marche, sous le poids de son pied.

Ici, il revêt, la peau dont il a payé le prix.

Ici, encore, sans un mot pour la terre qui l’arpente, il chancelle.

Une trouée de grain.

De l’eau et la terre la rumeur.

« Tu entends le jour ? »

« Tu écoutes mais tu ne réponds pas. »

Là, il marche et paye et choit.

Sa chair, froide.

Un cingle de silence.

Il boit au torrent pendant la marche. Il relève la tête.

 

VIII

La levée du soleil, par la fumée aux bras secoués. Et la coupe du jour, la coupe du jour.

Et si les mains sont de trop. Encore sous la langue des sépultures. Ou sous ta roue de Lin. Encore sous la treille brou de noix.

À la foule dense répond le bateleur sourd.

Dans le pré de la perdrix, donnons un visage à cette troupe égarée,

Donnons vos

Lèvres bougent, bougent.

Bougent

À la foule dense répond le bateleur sourd.

 

IX

C’était encore la nuit.

Vents vous vents. Vents en nuits et en mémoires. Lourds sous la chape de plomb et sans ors.

C’était encore.

Silences sous silences. Silences en nuits et en mémoires. Âcres dans l’épaisse poix du vide.

C’était la nuit.

Une pierre de touche clôt l’inflorescence. Et le frère chargé d’épines,

Viendra.

Il viendra, le mollet frayé.

Et viendra se coucher,

Les yeux clos.

 

X

Le soleil traverse le ciel,

Et le veilleur crie le nom des heures dont il a gardé mémoire.

Simon Kovacs