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La revue n° 55 La nouvelle éducation sentimentale

La nouvelle éducation sentimentale

V

Est visible dans leur cas une position de soumission et une atomisation sociale. Tu as devant toi des gens bondés, mais pas une entité commune, pas une collectivité. Parmi ces gens on recrute des huissiers et des serviteurs - pas des hommes forts. Les humbles subissent, mais seulement jusqu’au moment où les limites sont dépassées et dans ce cas explosent, sont capables de tout, ils n’ont plus de limites. Ils peuvent faire des révoltes, mais pas des révolutions. Ils n’ont pas les idées et la force qui peuvent conduire aux révolutions… C’est probable qu’il essayait de comprendre le troupeau des gens las, soumis sans grogner, des gens à qui on a mis toutes sortes de choses sur le cou sans dû, ils disent rien. Ils vivaient dans un monde de tunnels compliqués, étroits, qui se croisaient ou se chevauchaient - ils se sont levés là, chacun vivant sa vie à chaque instant. Il sentait souvent la dureté des parois du canal, leur étroitesse suffocante, le corps bloqué dans certaines parties, la confusion et l’anxiété…

Il regardait ses doigts, il lui sembla qu’un ongle n’était pas bien poli, et il essaya d’éliminer la rugosité avec un ongle dans l’autre. Il n’a pas tout à fait réussi.

/// Suite de l’essai Blood of the Dead ///

Au-delà du cimetière, non loin, sur la droite - le stade de la ville. Pendant quelques dimanches mon père nous a emmenés avec lui - mais nous étions trop enfants pour être passionnés par les troubles sur la pelouse. Le père a trouvé quelques fans de football avec qui commenter le match. Il était distant, mais il savait quand il voulait s’approcher de personnes de condition modeste. Nous tournions dans les tribunes du stade, le dos au terrain. Nous commençons à peine à nous habituer au stade et le moment est venu de déménager dans l’autre ville… La condition du football à „l’âge d’or”... À méditer. Le football a joué un rôle de socialisation particulier. Les gens qui dans d’autres situations n’auraient pas perdu leur temps avec une telle chose ont trouvé un moyen de se rapprocher des autres, du peuple. Et dans le football vous pouvez vous exprimer librement - jurer sur l’arbitre, apostropher d’incompétent un joueur pour crier après l’autre qu’il est un bœuf. Sinon, une telle liberté est rare. Un défoulement - mais aussi une solidarité facile, sans obligations.

La ville étend ses griffes jusqu’à la porte de la maison où nous habitons. Une porte ordinaire - un cadre en bois sur lequel le treillis métallique a été fixé. Le monde au-delà s’est glissé juste en dessous la porte. Où j’avais vu un serpent une fois. Un serpent d’eau, probablement. Non loin de là se trouvait un flux dans lequel on déversait les ordures.

La large véranda dans laquelle j’avais rempli à un certain âge une bonne partie de la journée était claire et propre. Je regardais les livres qui ne manquaient jamais à la maison. Mes parents étaient enseignants, professeurs… Sur les premières pages des livres que j’avais vus se trouvaient dans ces temps historiques des portraits de personnes. Nous étions confus, parce que j’ai découvert qu’ils n’étaient pas les personnages des contes, ni les auteurs de ces contes. C’étaient des camarades. C’étaient leurs portraits. Pas un - mais plusieurs portraits. A un moment donné j’ai entendu une discussion irritée entre mes parents. Quelque chose était arrivé aux livres. Il fallait les jeter - non parce qu’ils n’étaient pas bons. C’était à cause des révisions politiques. Les camarades qui se trouvent dans les premières pages des livres sont tombés. Ils étaient des… déviationnistes, des contre-révolutionnaires… Mes parents ont trouvé en fin de compte la solution pour sauver les livres. Ils ont déchiré les pages de début avec les portraits... Un, deux, quelques... comme il se doit. Les livres sont restés. Et rien d’autre n’avait changé en eux ! Les histoires et les contes sont toujours bons. On n’a pas rompu les pages avec les narrations...

En plus des premières leçons indirectes de survie sous la dictature, nous continuons l’école de la vie sur le terrain de foot à côté du cimetière. Des leçons de survie qui étaient déjà devenues plus dures. Une école de vie compliquée qui ne se concentre ni sur le violon ni sur la lecture. Une histoire avec des personnages ahurissants. Ils m’ont aidé à différencier les gars vraiment forts et durs de ceux qui étaient munis du pouvoir des institutions. Des affligés avec des tresses sous leurs vêtements civils - qui hissent encore aujourd’hui leurs têtes débiles au-dessus des vêtements qui veulent masquer les insignes des agents de la securitate.

Juste à côté du clocher, caché par les touffes de la faible végétation, près du mur, une sorte de trappe. Je ne savais pas quel était son but là-bas. Mais parce que c’était sur le terrain où je battais la balle, on a parlé de ça. Sous le couvercle rouillé, ont dit les petits voyous de l’endroit, on rassemble le sang des morts...

(Fin de l’essai Blood of the Dead, publié dans…, non… .., le…)

*

De l’enfance. Quand le mot securitate a atteint ses oreilles, cela ne voulait pas dire grand chose. Peu à peu une représentation oppressante a pénétré sa conscience, une trappe a été ouverte sur ce qu’il ne faut pas faire, ce qui ne se fait pas, une zone interdite d’horreurs, une cave nauséabonde. Ça après qu’ils ont déménagé dans la ville de la province profonde ... Au début, ils avaient vécu dans une partie de maison appartenant à quelqu’un de la famille. La vieille maison avait appartenu à une propriétaire d’autrefois, d’avant le communisme... Qui vivait encore, dans le bâtiment attenant, isolée par une clôture en planches de la partie de la propriété vendue. Une famille autrefois riche, représentative de la classe „d’exploiteur”, maintenant la vieille femme était rarement vue, rampant avec une lenteur de fantôme à travers la végétation sauvage autour de sa maison. La partie de la maison des nouveaux propriétaires, appartenant à la classe du milieu, avec plus d’argent que les autres, même dans le communisme, a été séparée par les nouveaux maîtres à travers une clôture en treillis métallique. Au bord de la clôture des chats noirs se promènent toujours - pendant la nuit, des paires de lumières vertes se déplaçaient. Au-dessus de la clôture se trouvait la forêt à fantômes. En plein jour, les enfants se rencontrent, ils font connaissance les uns avec les autres. Leurs parents moins. Le personnage qui occupe l’appartement de gauche travaillait pour la securitate. Son fils, Butzu, était toujours assis de côté, n’interférant pas avec les autres enfants. Sa mère était une jeune femme. Elle se présentait rarement à l’extérieur. Ils n’y ont pas vécu longtemps , ils sont partis “pour Bucarest” - pour découvrir, plus tard, qu’ils étaient effectivement allés „en Israël”. Pendant qu’ils ont vécu là-bas, il a appris à un rythme soutenu la brutalité et le manque d’élasticité. Il est venu, avec toute la famille dans la ville de province profonde quand il est entré dans la deuxième classe. Il était tombé sur une enseignante sévère et sans humour qui leur corrigeait toujours la calligraphie en leur demandant de faire, avec soin, des “coins” aux lettres. Il n’a jamais compris exactement ce que signifiait « faire des coins ». En première année de classe dans la ville de montagne où avait commencé l’école il n’avait pas entendu dire quelque chose comme ça. Il a appris aussi qu’il y avait des choses impardonnables parce que certaines personnes veulent les rendre impardonnables, amplifiant éventuellement une erreur au point de lui donner les dimensions d’un cataclysme. Un des jours d’école, l’enseignante toujours renfrognée a fait un voyage dans l’un des quartiers de la ville avec les élèves de sa classe. Ils sont arrivés au bord d’une descente rapide vers un village. Au-dessus se trouvaient les traces d’une forteresse, une fortification médiévale, mieux dit, avec les murs encore intacts, utilisée comme entrepôt. Tout le quartier portait le nom de l’ancienne fortification. Un fois arrivés là, un chemin poussiéreux, dessiné en serpentins raides à travers les buissons sauvages, s’ouvrait devant eux. Il descend. Lui a pris le chemin. Et d’autres encore. Après lui. Ils sont allés au village en bas et l’ont traversé. Zamca était un village ordinaire, parfaitement visible d’en haut, comme un dessin. Sur le bord de celui-ci un champ était utilisé comme aéroport de service. À une extrémité, il y a un hangar. Il était venu ici plusieurs fois auparavant, seul, pour regarder l’aérodrome visible de là-haut, dans le panorama ouvert au loin. L’aéroport n’avait pas un trafic régulier, on avait là les biplans pour pulvériser les cultures et des avions sanitaires type IAR. Parfois, des entraînements de planeuristes - des appareils remorqués par des avions ou, le plus souvent, décollant comme des cerfs-volants, tirés par un câble avec un moteur placé au bout de la piste. Une fois, il avait traversé le champ des avions, qui était en fait beaucoup plus large qu’il n’y paraissait d’en haut et il s’était approché de l’avion garé devant le hangar, entouré de quelques personnes. Ceux-là - des mécaniciens ? des pilotes? - expliquaient à son ami qui l’accompagnait le moteur en étoile, refroidi par air, queue, ailerons et leur rôle… Ils le regardèrent avec étonnement - il savait tout cela à partir de livres, lus illégalement, comme il aimait lire, en fait, illégalement parce que personne ne leur avait demandé à l’école ou ailleurs de telles connaissances. Ils étaient probablement étonnés de son âge et de celui de son compagnon. Quant au voyage de la classe, ils avaient atteint le bord supérieur de la colline et il lui semblait que le voyage à la base aérienne pourrait intéresser tout le monde. D’une certaine manière je les incitais à descendre, et quand ils atteignaient le fond, j’étais toujours le premier à prendre la route vers les avions. Finalement, beaucoup de collègues se sont perdus en cours de route, seuls quelques-uns se sont approchés du hangar et, n’ayant rien à voir, se sont retirés sous peu. L’enseignante, folle de rage que personne ne l’écoute plus, criait aussi fort que possible en leur demandant de revenir. Le lendemain, il a été mis au mur. Considéré comme un instigateur de désobéissance, il avait mis en danger ses collègues (bien qu’il n’y ait eu aucun danger et que personne n’ait rien souffert) etc., etc. Le visage noir, sec et toujours renfrogné de l’institutrice était maintenant vert. Elle ne le regarde même plus. Elle cherchait la méthode la plus radicale possible pour le punir. La tension était élevée et il ne savait pas quoi faire. Chez eux, les parents étaient aussi inquiets. Tous deux impliqués dans l’enseignement, ils l’ont exhorté à écrire une sorte de texte autocritique, dans lequel il mettait des cendres dans sa tête et affichait ses remords écrits sur le journal mural de la classe (c’était l’époque où les gazettes murales étaient entrées dans les espaces publics, suivant le modèle des animateurs soviétiques (pour le moment leur rôle semblait important, mais elles ne sont jamais arrivés à jouer un rôle quelconque dans la vie des plus petits ou des plus grands…; mais sur moment elles ont eu une certaine résonance...). Il avait écrit la confession avec des boules à la gorge, mais l’enseignante ne l’a même pas regardé, elle ne savait pas ce qu’il avait écrit de lui et sur lui, ce qui lui avait été suggéré ses parents qui étaient eux aussi anxieux pour la situation…

Constantin Pricop

Extrait de NOUA EDUCAȚIA SENTIMENTALĂ - Editura ALFA
Traduction par l’auteur