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blanche

La revue n° 55 poètes de service

poètes de service

Lénaïg Cariou

Je suis poète, traductrice et chercheuse. Actuellement en doctorat de poésie à l’Université Paris 8, j’ai co-fondé la revue de poésie Point de chute avec Victor Malzac et Stéphane Lambion en 2020, et suis l’initiatrice du festival Poet.e.s.s.e.s (Paris, mai 2021). Mes poèmes et traductions sont parus et paraissent régulièrement en revues (L’Intranquille, Traversées, L’écharde, Le Coquelicot, Lichen, Fragile, The Goose, Point de chute, Jef Klak, ...) en France et à l’étranger (Belgique, Etats-Unis, Canada).

 

 

S’AMUÏR

Fenêtre et cynorhodons

 

tiges humides et brunes

excentriques angulaires

ou

l’épaisseur des pensées

qui dansent

 

*

 

Je suis absente à moi-même

et l’air est humide

 

corps qui tourne en rond

entre

le trou gris des pensées

qui s’indiffèrent

s’indistinctent

et les lignes horizontales

d’air blanc

séquentes

à flanc

les montagnes

au loin

 

*

 

Je ferme les yeux

et mon regard est vide

 

mes yeux

sont grands ouverts

et je ne vois rien

 

on me parle

du film blanc

qui obstrue

la vue quand la fatigue

excède

 

je parle

d’un dépassement non

pas la couleur mais

l’impression

diffuse d’

 

un corps qui

tangue comme on

nage ou comme

- l’on

se noie.

 

*

 

Un rien, un nuage, des cynorhodons

 

addition

de pertes

consécutives

sécutives

 

*

 

L’ocre humide, le frisson

 

Le brun des arbres ;

l’ombre, le nuage, et le cynorhodon.

 

*

 

Et rien ne demeure

 

que l’étourdissement passager

 

 

 

 

SCÈNE MUETTE

scène muette…

la mer est grise - et elle se tait

(comme un songe)

elle crépite et tressaute

: ça passe mal

 

dans la moitié supérieure, le ciel

visage de 8h du matin -le dimanche-

(quand l’euphorie retombe)

fatigue

nausée

la mâchoire un peu trop serrée – encore

 

 

spectre de blanc et d’ombre

soleil, probablement puisque le ciel

est vide

un rocher sur l’eau se détache

ses contours circulent

accrochées à lui,

des silhouettes humaines

qui gravissent souplement son flanc

 

 

 

les traits ondulent

(tout ça est noir sur gris)

difficile de faire la part dit-il

 

les corps sont courbes

et la pierre est rugueuse

l’horizon se troue

de figures imprimées hasardeuses

fardées

 

 

un premier corps se dresse et saute

l’eau engloutit

(c’est rapide, trop rapide pour que l’œil

à peine perçoive et trace)

 

sur la pellicule, une trajectoire verticale

demeure saccade et meurt

 

 

 

puis une autre et autre

tandis que vagues et rochers

pulsent, pensent, gonflent et désenflent

 

comme s’il

n’y avait pas de

s’il n’y en avait jamais eu

(et puis, ce n’est pas

 

la question)

 

 

 

 

NEBULER

Imaginer

un, des

nuages de gaz et de poussière

l’image

glisse, échappe

elle est trop imprécise

trop colossale aussi

 

quand je pense à l’espace

j’oublie

et quand je vis

j’oublie l’espace

(comme si ma vie s’en passait plutôt bien,

de ce déséquilibre)

 

je le lis comme un poème

ou comme on se perd dans la couleur

une toile

et ses couches superposées de ténèbres enfouies

le visage brumeux et inexpressif

des angoisses souterraines

dont le vertige

soudain

émeut

 

 

 

 

(SILENCE) ET AUTRES BOURDONNEMENTS

La vie suivait son cours

et j’étais immobile

ma tête : bourdonnements

voix contraires

 

C’était

comme l’infinie résolution

d’un problème sans énoncé

les mêmes incertitudes

l’hésitation initiale

 

Résoudre

ce qui résiste au nom

dénommer dénouer

- dévorer à défaut

l’absence de réponse évidente

 

Lénaïg Cariou