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La revue n° 55 Séquences

Séquences

Cam

«Professeur de philosophie et chercheur en phénoménologie depuis plusieurs années, seule la poésie me semble pourtant naître du centre de sa cible : prisonnière de son exactitude, elle se paye du prix de nos méandres».

Mauvais signes

Tu as le sale pouvoir de me faire durcir malgré moi et contre tout, empoigné je te sers malgré tout et contre moi.
Tu tiens le monde par son sexe comme la fillette sa sucette par le bâtonnet, otage confisqué à son extrémité mon corps a excavé sa mie pour aller à ta main qui le chausse en ondulant.
Ta main de ma faiblesse est le génie : elle me tend me courbe ou me plie à son mouvement.

*

Éclusier de tes bras je suis privé d’étreinte ta chair recouvre ma peau du haillon de ma peau restée nue.
Quel maître t’a légué le secret de la botte qui trouve la faille dans la garde infaillible, celui du geste où te gardant tu te retiens au cœur de ce qui te donne ?

*

Tu n’acceptes rien de ce que l’on te tend avant d’en avoir dénombré les issues.
Tu ne vois pas que s’échappe le monde que l’on t’offre par les échappatoires que tu maintiens pour toi.
Mon impuissance me fait m’écouler sous moi comme une gargouille incapable de ses eaux saumâtres et avec elle ta jouissance refusée dans sa vidange de lait.
Tu méprises sans savoir que je ruisselle par les trous creusés pour la possibilité de ta fuite, tu as fini par user de ces issues cachées pour fuir l’impuissance qu’elles ont elles-mêmes causée.

*

Tes jambes savent si bien me circonscrire comme la fourche du pied-de-biche sait bloquer son clou afin qu’en pesant de tout le levier de ton corps
mon âme se dégonde et tu l’empoches.
Je sais que tu décapsules en série, que tu donnes le taquet qui fait fléchir même parmi nous le rayon solaire somnambule du soleil giflé d’hiver.

*

Tu m’as dit que tu m’aimais mais tu voulais que je « te prenne », car nous ne nous sommes accouplés qu’à l’équinoxe à la saison de ton rut et du début de mon malheur comme deux animaux de la même espèce ne partageant pas la saison de leurs amours : mon désir a été le crépuscule de ton plaisir.

*

« Tu es ma Vie ! » m’assurais-tu taisant ton penchant suicidaire car cette Vie tu l’as quittée aussi simplement que le pendu son appui.
Je suis la seule Vie qui mourant a ressuscité son vivant et meurt de la vie retrouvée de celui
 qui s’est enfui.
Tu as fait de moi ta Vie pour pouvoir te l’ôter et jouir sans danger de mourir comme l’on construit de cartes le très haut château
de cruauté prête à souffler.

*

Tu es l’étau des lèvres qui visse au désir tournant l’écrou pour démembrer les corps, ces corps qui vrillent laissant couler ce grand amour qui va te féconder.
Tu es la migraine du cerveau dans sa cuve, le gong sans issues pour le corps fait d’oreilles promises au bourdonnement de l’unique vibration du malheur qui sans façon porte ton nom.

Un manche parfois croît de dessous ton visage te permettant d’arborer la souveraineté enfantine du maillet qui sait toujours comment détruire, comme la poignée d’eau folle humiliant sa prise, l’éclat riant dans l’œil ébloui, le puits sans fond où chute la prunelle aveugle.

*

Raison pour laquelle je ne peux plus te voir :

Après l’amour tu raffolais de sortir immédiatement sans te laver, irradiant du plaisir reçu comme
la pierre chauffée au soleil brûle encore au crépuscule, dans les ruelles les plus peuplées de mon quartier, parce qu’il te plaisait d’être laquée sous l’enrobage encore frais de ma jouissance révolue.
Aux abords de ma présence ravivée tu prends un risque :
La seule pensée que tu pourrais évoluer incognito sous la gangue où cristallise à présent l’orgasme séché d’un autre m’obligerait, je crois, sur le champ à te tuer.

*

Tu te tiens si pittoresque et calibrée qu’il faut que tu aies avalé une publicité destinée à écouler plus facilement ta vie.
Tu ne souris jamais pour soulager de ton encombrant secret mais tu uses des âmes pour y développer les tirages de ton leurre.
Il te faut te raidir jusqu’à ce que ton image en moi te plaise –ce que tu nommes «aimer»– et puis il s’agira de recommencer d’être, simple et seule.
Ainsi tu vas cueillant les reflets de ta perfection où ils te semblent mûrs.

*

« Ils sont au moins trois cents », ces légionnaires à usage unique qui paissent buvant l’eau ivre
au goulot des lèvres dont tu es le vrai visage.
Tu m’as souvent béni mais je sens ton image
venir à terme en moi : et je me jouis dessus comme un animal incontinent qui dépose sa semence à tes pieds.

*

Nous n’avions de commun que le départ, communauté si minime
que le premier partage des feux consumait déjà nos adieux.
C’est que je suis né pour creuser la tête en terre en direction du fond
et tu as atterri encore toute éminente du grand là-haut dont je suis ignorance.
Le chiasme fou des embouchures n’était que le quiproquo des incendies où nous brûlions d’humidité et j’ai pu perdant ma force lever tout ton poids torride et ma vie avec lui.

*

Ange du monde renversé ton sexe est ton vrai visage :
Il rougit, Il respire, Il sourit, Il soupire : Lui.

Le Temps s’étrangle en girouette cambrée dans l’obsession de sa direction.
A la distillation de mes semblables je trouve le secret enfoui des coordonnées de ton sexe. Ton sexe est l’âme, il s’allume mangrove suavement religieuse qui végète à ton embouchure.
Mon sexe rêve encore en lui, indévaginable mastic, paratonnerre délirant dans tes lèvres de foudre séparé de soi par la soif qu’il a de toi.
Sens-tu encore en toi du magma des démembrés mousser l’éternité ?

Cam