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Etude ( X ) sur Benjamin Fondane - Expres Cultural - Novembre 2025
FONDOIANU (X) - Expres Cultural - Novembre 2025
Aujourd'hui, Fundoianu/Fondane fait partie des auteurs lus et cités. Une reconnaissance bien méritée pour son œuvre et son destin. Une déformation - inévitable, semble-t-il - de notre optique nous amène à croire qu'un auteur qui jouit aujourd'hui d'une notoriété a toujours bénéficié de la même appréciation, depuis l'époque où il a vécu. Notre perception rétrospective illusoire nous amène à considérer tous ceux qui sont aujourd'hui au premier plan comme des vainqueurs incontestables parmi leurs contemporains. L'explication est d'ordre psychologique : nous nous assurons ainsi que l'ordre naturel des choses est respecté, que les esprits élevés, le talent, etc. l'emportent toujours, que les réalisations des esprits élevés deviennent immédiatement évidentes, qu'elles sont immédiatement reconnues, toujours appréciées. En réalité, les choses ne se passent pas ainsi. Le parcours de Fundoianu n'a pas été celui d'un écrivain à succès. Aujourd'hui, on dresse minutieusement l'inventaire de ses succès au cours de sa vie, mais Fondane n'a pas connu de succès retentissants. La diffusion de son œuvre auprès d'un public plus large est venue tardivement, seulement après 1970, lorsque son œuvre de poète et de philosophe a été mise en lumière, lorsque de nombreux commentaires consistants ont été publiés - et que son destin dramatique est devenu exemplaire des horreurs qui ont accompagné la montée du racisme. Dans son cas également, son parcours humain a précédé son parcours littéraire et est resté dans l'ombre de celui-ci.
Comme l'ont observé tous ses commentateurs avisés, il a dû surmonter une triple aliénation : roumain - juif - français. Sa marginalisation doit être replacée dans le contexte de l'époque, alors que la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale approchait à grands pas. Mais il y a quelque chose dans son esprit qui provoque, qui sollicite, qui cherche, qui ne l'empêche pas de poursuivre sa quête. Dans la littérature roumaine, il ne se sentait pas à sa place, il ne la considérait pas adaptée à la réalisation de ses possibilités intellectuelles. Personne ne l'avait chassé de Roumanie vers la France. Il n'était pas un exilé. Mais Fundoianu/Fondane se sentait toujours en exil. « Le poète est un exilé dans son propre pays, un étranger partout, mais qui trouve dans les mots une patrie. [...] Vivre dans la poésie, c'est refuser d'être enfermé dans des frontières, qu'elles soient géographiques, linguistiques ou idéologiques. »
Il rejetait la littérature traditionnelle pour son immobilisme, pour ce qui devenait conventionnel, usé – mais il ne s'est pas rallié au mouvement d'avant-garde. Il appréciait le refus des formes anciennes, dévitalisées, mais n'adhérait pas aux moyens par lesquels ce refus était réalisé. Il en va de même pour les autres choses auxquelles il n'adhère pas.
La structure de sa personnalité intellectuelle ne pouvait lui assurer l'un de ces succès dont jouissent les auteurs qui trouvent rapidement une formule gagnante et perpétuent avec elle leur existence couronnée de succès. Fondane était en quête permanente - il n'abandonnait pas, il n'était pas vaincu ; il allait simplement toujours de l'avant. Dans ses recherches, rien de ce qu'il obtenait ne semblait le satisfaire. Son parcours intellectuel est toujours orienté vers l'avenir, absorbé, passionné par les nouvelles expériences. Dans toutes les situations qu'il a traversées, il a toujours eu une position indépendante : il ne faisait partie d'aucun groupe, d'aucune coterie littéraire qu'il aurait soutenue et qui l'aurait soutenu en retour. Fundoianu/Fondane était un esprit parfaitement indépendant, même lorsque, en principe, ses positions fondamentales coïncidaient avec celles des autres. En Roumanie, il s'est rapproché de la littérature d'avant-garde, mais il n'est pas devenu un avant-gardiste au sens commun du terme. On constate dans son « avant-gardisme » une révolte contre les choses anciennes, sclérosées, mais pas un enthousiasme destructeur. Tout doit changer, s'inscrire dans la dynamique d'une recherche permanente. Sa poésie – tant celle écrite en roumain que celle écrite plus tard en français – est moderne, mais pas dans la lignée des innovations des mouvements d'avant-garde de l'époque. Il n'était pas partisan des expériences formelles : pour lui, l'art devait avoir un sens profond, supposer un véritable engagement existentiel. Il est en revanche radical dans ses commentaires critiques, surtout lorsqu'il s'agit de questions fondamentales. La littérature roumaine (à quelques exceptions près) lui apparaît comme une province de la littérature française. Et comme il estimait qu'il devait vivre au centre, et non en province, il choisit la France. Mais là aussi, il se sentait étranger. À Paris, il se rapprocha des cercles qui donnaient un nouveau visage à l'art contemporain – il s'intéressa aux surréalistes (mais on a vu comment il fixait les limites du surréalisme dans le Faux traité…). Il ne considère cependant pas le surréalisme de Breton comme un véritable rapprochement de l'essence du drame humain, mais comme une technique inspirée des nouvelles théories (à l'époque) de Freud. Il se rapproche en revanche d'artistes engagés dans des recherches novatrices, tels qu'Artaud, Brâncuși, Man Ray, René Daumal... Il est loin des tendances qui proclamaient la fin de l'art et la nécessité de le libérer de « l'obligation » d'exprimer des sens - son engagement dans la question du destin individuel est explicite. Il adopte la même position dans les articles où il aborde les aspects de l'engagement existentiel. Les auteurs dont il se rapproche, qu'il commente, ont eux-mêmes un destin qui sort des lignes prévisibles de l'évolution (même s'ils ont ensuite été pris dans les bras et élevés sur un piédestal) : Rimbaud, Baudelaire, en poésie, Kierkegaard, Chestov, etc. en philosophie. Il convient de souligner une fois de plus qu'il ne s'aligne pas sur le goût commun, sur les orientations qui mènent au succès. L'avant-garde devenait un succès, la modernité surréaliste conquit le monde - Fondane se place en marge du courant dominant. L'existentialisme (le mouvement le compte parmi les précurseurs du courant très populaire dans les années 50 du siècle dernier) est annoncé à cette époque par quelques penseurs singuliers, qui étaient loin d'avoir l'audience et... la gloire qu'ils connaîtront dans l'après-guerre... Nous sommes donc face à une intelligence en quête permanente, qui traduit le plus souvent dans ses commentaires la discussion sur les succès du moment en questions fondamentales. Fondane est un fouineur, il ne cesse de fouiller les aspects les plus inattendus de l'existence. Il passe de la poésie (en fait, dans la poésie, de ce qu'il écrit en roumain à la poésie en français - les différences ne sont pas difficiles à remarquer) au monde du théâtre et du cinéma d'avant-garde, à la critique littéraire (avec de nombreuses implications de critique culturelle), aux polémiques, aux essais sur des thèmes philosophiques, etc. Son approche de la philosophie représente une nouvelle étape dans ses recherches. Ses articles, essais et livres publiés précédemment sont imprégnés d'une capacité de réflexion qui dépasse de loin le simple commentaire. Mais il s'approche de la philosophie en commentant des œuvres essentielles. Ce rapprochement à ce stade est en grande partie dû à Lev Chestov. Il connaît les écrits de Chestov depuis la Roumanie, où il existait un terrain propice à la philosophie de Chestov et d'autres penseurs du même acabit. Au printemps 1924, chez Jules de Gaultier, il fait la connaissance de Chestov. Il commence à le fréquenter régulièrement. Il est attiré par le charisme du philosophe et sa situation inhabituelle pour l'époque dans le milieu intellectuel français. Mais, bien sûr, ce sont avant tout les idées de Chestov qui l'attirent. La philosophie de Chestov a fait couler beaucoup d'encre, y compris en Roumanie, sa place dans l'histoire de la philosophie est connue, ses particularités dans le cadre de la philosophie russe du début du XXe siècle sont bien connues. Vladimir Soloviev, Nikolaï Berdiaev, Sergueï Boulgakov, Pavel Florenski, Semion Frank... Beaucoup d'entre eux promeuvent le slavophilisme et une interprétation de l'orthodoxie qu'ils opposent à la philosophie occidentale. Ils substituent l'expérience religieuse à la raison. L'orthodoxie et les textes bibliques sont des points de référence dans cette manière de rechercher l'essence de l'humain. L'expérience personnelle, la rencontre avec Dieu, etc. (opposées à la raison, aux concepts) sont les coordonnées de la nouvelle pensée russe. Contrairement à la plupart des autres représentants de cette tendance, Chestov ne recherche pas autant le « salut » dans la religion, dans la mystique chrétienne. Pour lui, la vie est un drame qui ne peut avoir de fin. Sa pensée, qui fait écho à Kierkegaard ou Dostoïevski, précède une tendance de la philosophie existentialiste. Mais au-delà de leurs particularités, ces penseurs ont en commun un rejet radical du rationalisme : pour eux, le destin de l'homme est une confrontation permanente avec l'absurde. Fondane se rapproche de Chestov à un moment relativement difficile. Il n'avait pas dépassé une position marginale dans son milieu culturel d'adoption et, même s'il s'était rapproché de certains, il ne s'était identifié à aucun des mouvements qui se développaient autour de lui. Pour comprendre le contexte de la rencontre entre Fondane et Chestov, il faut tenir compte d'un ensemble de facteurs personnels et généraux. Un auteur encore peu visible, en constante effervescence intellectuelle, placé dans un contexte peu réceptif à ses initiatives, immigrant marginalisé à une époque d'accélération des tendances extrémistes. Il rencontre un penseur - lui aussi non intégré institutionnellement, mais jouissant d'un statut et d'un prestige stables, qui lui offre en outre les moyens philosophiques de soutenir ses propres points de vue. Le rapprochement entre les deux hommes est rapide et intense. Mais la différence reste essentielle. Chestov pense que tout est perdu, il trouve des arguments chez Kierkegaard et Dostoïevski, peut-être un dernier espoir dans la religion. Fondane reste dans l'horizon de la poésie, dans laquelle il circonscrit toute son existence. Fondane est redevable à Chestov, mais il ne devient pas son disciple ni son continuateur.
Ses convictions trouvent un écho attendu dans certaines idées de Chestov (qui, à ce moment-là, est un « opposant » à la pensée rationaliste occidentale). Il est facile de constater ce qui le rapproche de Chestov. Le refus de ce qui semble défini, fixé, formulé, exprimé. Fundoianu/Fondane ne s'est jamais contenté de ce qui prétendait être défini, immuable. Tout comme Chestov, il voit l'existence comme un drame que l'homme doit inévitablement supporter. Tout comme Chestov, il rejette les systèmes philosophiques - les systèmes philosophiques construits sur la raison. À première vue, ce que présentaient Chestov et ceux qui illustraient la direction anti-rationnelle des Européens était une situation absurde : ils essayaient de démontrer que la philosophie ne peut pas être philosophie - parce que la philosophie utilise des concepts, alors qu'ils veulent prouver que ce sont justement des constructions artificielles, des produits conçus rationnellement, sans rapport avec la vie, avec la réalité - car la réalité, l'existence seraient tout autre chose que des concepts... Mais cette opposition devenait une philosophie - et devait à son tour être exprimée en concepts. La réponse de Fondane à cette contradiction était l'expérience de la poésie, de l'art. L'expression théorique de son point de vue est formulée dans Faux traité d'esthétique.
Constantin Pricop
trad G&J