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AUTEUR-E-S - Index I

7 - Simon A Langevin

Trois poèmes


ça rentre de partout

pas moyen de rien entendre

pas moyen d’avoir la paix

les bruits du dehors se glissent par la fenêtre

sous la porte

à travers les murs

j’entends tout même avec les doigts dans les oreilles

je veux juste qu’on me crisse la paix

je veux juste que rien existe

je veux juste être tout seul

tout seul avec toi

toi pis moi dans le divan

à se crisser de ce qui se passe dehors

mais non

j’entends tout

les chats qui miaulent

le monde qui marche

les bombes qui sifflent 

les arbres qui poussent

les chars qui passent

les yeux qui pleurent

la lumière qui éblouit

le monde qui meurt

ça en est étourdissant

y a rien à faire

qu’est-ce que tu veux que je fasse

je veux rien savoir

je veux rien savoir de rien

à part de toi

mais toi tu t’en sacres bien

sinon tu serais ici avec moi

on serait tous les deux à écouter le vacarme

à bad triper du monde

à compter le nombre de fois que quelqu’un souffre

on aurait bien du fun

serrés l’un contre l’autre

les oreilles pleines de bruit

on ouvrirait toutes les fenêtres pis les portes

on pourrait même sortir dehors 

main dans la main

en s’aimant pendant que le monde s’écroule et flambe tout autour

qu’est-ce que t’en dis





OZANAM



rue Ozanam


la rue Ozanam


sur la rue Ozanam


il y a l’essor des soleils stridents perdus d’Atlantide tout près de ta beauté remarquable

les herbes salées de la toundra jetées en pâture dans le feu de tes yeux rivés

en pâmoison l’esprit de mes désirs lustrés couché près de toi dans le lit du soir d’été

au-dessus la proie chaotique d’un rêve interminable surgi des profondeurs canadiennes

des formes sans essence sans cesse inspirées de la ville toujours en construction

d’innombrables âmes qui vivent en errance le temps d’une pluie ou d’une neige légère

du bleu du jaune comme si le ciel tout entier était en feu juste pour nous

les vestiges de l’Émérillon enfouis au fond d’une rivière ancienne nommée Lairet

toutes ces empreintes de pas foulés au gré des humeurs des voyageurs d’un jour ou l’autre

des chats solitaires probablement des réincarnations de moines bouddhistes ou de jeunes cowboys 

plusieurs machines dévorantes ridicules

un enfilement d’heures de toutes lumières sons et odeurs divers

des appels à l’aide sans échos passant au-dessus des arbres argentés des parcs verts

une bestiole à l’agonie sur le trottoir jonché de détritus made in China

mon visage exténué devant les caprices du vent qui se joue de ma chevelure trop longue

les crissements des souliers italiens sur le bitume chauffé à bloc

le vrombissement des voitures sports sans utilité aucune et d’une horreur indicible

des mots doux chuchotés dans le pavillon de ton oreille tendre et mordillée

des passants pressés filant à l’anglaise sous les lueurs jaunes des lampadaires

la rumeur insistante d’une tempête du siècle qui ne viendra finalement jamais

un parapluie perdu ou oublié sur un banc sous un abri d’autobus

un type qui gueule en plein délire sous l’emprise d’une drogue quelconque

les cliquetis métalliques des bicyclettes qui dévalent les pentes sans égards du danger potentiel

le vol des oiseaux dont les présages invisibles nous préviennent de notre sort à venir

des rencontres amoureuses de bonnes augures pour certains des générations suivantes

des drames insoupçonnés dissimulés dans les crânes de leurs acteurs éventuels

des constellations situées à des centaines voire des milliers d’années-lumière de toi et moi

des poèmes en formation dans l’hémisphère droit de ma tête dure

des solliciteurs en tous genres souvent désabusés d’eux-mêmes et du monde entier

des chiens en laisse prisonniers de leur maître envers qui ils demeurent fidèle coûte que coûte

des relents d’outre-tombe d’une époque disparue qui ne reviendra pas de si tôt

une panoplie de boutiques de part et d’autre pleines à craquer de marchandises obsolètes

un animal blessé que tout le monde ignore volontairement parce qu’il est différent

des motos roulant sur une roue pour se donner en spectacle devant des badauds ahuris

des feux d’artifice au loin tard le soir pour épater la galerie et égayer le quartier tout entier

le brouhaha de chicanes de voisinages et les bruits des draps qui claquent au vent sur les cordes à linge

un sirène de police retentissante en plein jour pour annoncer la commission d’un crime quelque part

un nuage passager seul dans le ciel bleu azur comme une tache de crème Chantilly

la tombée du jour comme une brume noire se déposant sur les immeubles et les commerces

des touristes égarés éloignés du centre-ville et cherchant leur route pour de nouveaux lieux à visiter

moi au pas de course m’en allant te rejoindre pour une sortie en amoureux

toi sortant de chez moi pour retourner à ton appartement au petit matin

un itinérant déambulant dans ses frusques sales en attente d’aumônes salvateurs

un arc-en-ciel inopinée après une faible pluie là juste au-devant de nous au bout de cette rue





Sans Titre



je suis entré comme un vent fou de rage la porte a claqué en plein dans nos visages je t’ai vue de dos couchée dans la gueule du divan mal bourré que j’étais moi aussi


quelque chose en moi bouillait/brûlait par les deux bouts


ton dos me faisait front sa courbure comme une descente abrupte tes jambes repliées sous toi tes pieds réunis ensemble pour garder cette chaleur qui fuyait de partout


quelque chose en moi dépassait les limites du salon


ta nuque sur les coussins soyeux comme tes cheveux qui pendaient en une queue de cheval fou j’imaginais tes bras enlacer l’espace vide devant toi tu dormais face au dossier du divan


quelque chose en toi te disait que j’étais revenu


oui je suais la mort l’alcool inflammable sur ma peau debout sur le plancher vacillant je ne voulais plus te voir belle comme tu es


quelque chose en toi pleurait déjà pour m’éteindre



Simon A. Langevin